Montgolfier & Canson, une histoire de papier
Dans la maison natale des frères Montgolfier,
Du chiffon au papier
L’eau est fraîche et opaque, avec cette chaleur prématurée de fin de printemps, c’est agréable. Je plonge les doigts et ils disparaissent dans le liquide blanchâtre. Le tamis serré entre mes mains remonte à juste vitesse. Marie-Hélène, la conservatrice du musée des papeteries, a dit que tout était dans le geste. J’ai la pression. Elle me félicite quand je sors les bras de l’eau bien à l’horizontal, j’ai fait un beau papier à cigarette comme elle dit.
Ok, je n’excelle pas dans la fabrication du papier à la main pourtant je suis fière de ma première feuille Canson. Même un peu déchirée quand on retire la couverte, elle a du caractère. Une petite transparence qui la rend particulière et fragile. Chaque papier sorti de la cuve a son quelque chose d’unique. On pourrait y glisser des fleurs, des herbes ou une mixture secrète. Mais ce serait superflu.
Un fois pressée et séchée, j’observe la trame de la feuille au travers de la vitre, avec les épaisseurs variables ça donne du relief et des camaïeux de blanc, c’est beau. Je me demande à partir de quand l’artisanat devient-il Art ? Ne serait-ce que dans l’intention ? Sont artistes ceux qui veulent faire une oeuvre originale et artisans ceux qui créent en série sans se soucier des légères différences ? Et c’est pourtant en cela qu’ils se distinguent des robots et autres outils industriels. Par ces défauts qui rendent rare et précieux.
L’atelier d’imprimerie Montgolfier & Canson
Le bruit des machines qui s’animent me coupe dans mes réflexions. Les énormes maillets de bois retombent avec rythme et fracas au creux de la pile. C’est en broyant des chiffons que l’on faisait du papier en ce temps-là.
Une immense mécanique faite de rouages, de bobines et de vérins prend quasiment toute la place dans le sous-sol du musée, c’est la machine à papier Robert. C’est son petit nom ou plutôt sa marque de fabrique. Elle a beau être imposante, je me laisse bercer comme devant un orgue de Barbarie. Hypnotique, le rouleau tourne inlassablement dans une tiède lumière avec l’écusson Montgolfier en relief au centre des tamis. Tout autour, des tas d’autres machines vont me révéler leur utilité non sans les mouvements précis et les explications teintées d’humour de notre guide.
Un prélude au vol en Montgolfière
Je suis un peu intimidée d’être dans l’antre des frères Montgolfier, demain je ferai mon premier vol en montgolfière. En découvrant ici l’Histoire et les débuts de l’aérostat, un mélange d’excitation, d’envie d’hurler et de peur commence à pointer. La visite du Musée des Papeteries Canson et Montgolfier est comme une préparation à l’envol.
La nuit venue, je me mets à rêver de savants passionnés et d’expériences burlesques. Les images des vieux films muets étrangement accélérés me viennent à l’esprit. Je m’imagine faire des pitreries théâtrales du haut de ma nacelle en mimant des OH et des AH grotesques face à un drôle de ballon au papier trop fin qui explose en une multitude de petits oiseaux. Demain je serai dans le ciel à 2000 m d’altitude, heureusement pour moi, les matériaux ont bien changé.
Histoire du papier
Du papier aux Montgolfières
1557, la famille Montgolfier reprend un moulin à papier près d’Annonay en Ardèche au pied des Monts du Vivarais. Les fils Montgolfier s’amusent depuis l’enfance dans l’univers de la fabrication du papier. Deux jeunes gars qui voient plus loin et plus haut que les autres. On est au siècle des Lumières et l’effervescence ambiante pousse les plus téméraires à faire des expériences insensées. Joseph Montgolfier regarde le ciel et voudrait s’y perdre. Par son métier de papetier, il connait la résistance et la légèreté du papier. Et il n’est pas le seul à rêver de toucher les nuages, dans la frénésie de l’époque et soutenu par son frère, il veut tenter l’impossible.
Après de nombreux calculs et essais, un matin d’hiver, fébriles, les deux hommes s’affairent au-dessus d’un feu de laine et de paille mouillée, ils gonflent un grand sac de papier doublé de toile de 3 mètres de hauteur. Le ballon s’élance dans les cieux, traverse la Deûme et se pose sur le coteau de Déomas. Voilà, la conquête de l’air et de l’espace vient de commencer en ce 14 décembre 1782.
Fabrication du papier
La fabrication du papier est un processus long, onéreux et aléatoire. Elle nécessite tout d’abord une grande quantité d’eau et de grande qualité, ce qui explique la localisation des usines près de cours d’eau. La pâte à papier est produite à base de vieux chiffons de lin ou de chanvre.
L’industrie papetière est la première à être fondée sur le recyclage des déchets. Mais les papiers d’alors sont de piètre qualité. Les innovations de la papeterie ardéchoise vont lui permettre d’acquérir une réputation pérenne.
Au siècle des Lumières, la famille Montgolfier va participer à une série d’innovations. En 1778, l’amélioration du procédé de fabrication permet de produire du papier vélin, sans vergetures, et de concurrencer ainsi les papiers anglais et hollandais.
Quelques années après seront conçus la coloration en pâte, le papier infalsifiable ou encore la fabrication de papier-calque. Le papier Canson va alors conquérir l’Europe.
L’entreprise d’Annonay est la première papeterie française à utiliser une machine Robert pour la production de papier en continu. La manufacture passe alors dans l’ère industrielle.
Dans le laboratoire Montgolfier et Canson on faisait la mise au point des papiers : mesurer l’humidité des papiers, tester la résistance au claquage des papiers, vérifier le degré de blancheur…
Vous le saviez ?
- Les frères Montgolfier procèdent au premier envol d’un aérostat le 14 décembre 1782. Après deux autres expériences privées, ce sera la présentation publique à Annonay, le 4 juin 1783, devant les représentants des Etats du Vivarais. Puis Paris, le 21 novembre 1783, marqué par le premier vol humain. Cela vaudra ainsi à la papeterie d’Ardèche d’obtenir le titre tant convoité de manufacture royale, le 19 mars 1784.
- La pâte à papier était produite à base de vieux chiffons de lin ou de chanvre, le bois n’entrera dans sa fabrication qu’au milieu du 19e siècle.
- En 1798, la seconde fille d’Etienne de Montgolfier, Alexandrine, épouse Barthélémy Barou de la Lombardière de Canson. Ainsi l’entreprise sera rebaptisée « Montgolfier & Canson« .
- Une montgolfière figure aujourd’hui sur chaque pochette de feuilles Canson.
- Etienne Montgolfier qui était cardiaque n’a jamais pu partir en ballon.
- Ce musée est le seul au monde à présenter une machine à papier en taille réelle et en mouvement.
- Madame Thible est la première femme à s’élever dans un ballon en 1784.
Et bien d’autres anecdotes durant la visite guidée du Musée.
Où faire un atelier Fabrication de papier en groupe ?
Musée des Papeteries Canson et Montgolfier
700 rue de Vidalon
07430 Davézieux
Tel : 04 75 69 89 20
Se renseigner auprès du Musée pour les ateliers pédagogiques de fabrication de papier en groupe seulement.
Visite guidée sur 1h à 1h30 pour tout public
SITUER LE MUSÉE DES PAPETERIES CANSON ET MONTGOLFIER EN ARDÈCHE :
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Vraiment intéressant ton article ! J’étais allée visite un moulin à papier encore en fonctionnement l’année dernière à Bergerac, j’avais adoré. :)
Le moulin !! ce doit être très photogénique et hypnotisant. Merci pour ton message.
Très bel article sur le Musée des Papeteries Canson et Montgolfier ! Le texte et les photos retranscrivent bien l’ambiance du musée et de la papeterie.
A bientôt en Ardèche Grand Air ! :)
Merci Emilie, j’ai passé un si beau séjour en Ardèche, j’ai encore pas mal de choses à raconter ;)
Super, on attend ça avec impatience !! :)
Cet article magnifiquement écrit et illustré m’a passionnée et émue. J’ai grandi avec l’Ardèche sous mes fenêtres et je n’avais jamais entendu parler de ce lieu. Merci pour cette découverte pleine de sensibilité et d’onirisme. Ces histoires de pionniers et de rêveurs me fascinent toujours.
Avec le vol en montgolfière prévu le lendemain, je crois que ça a ajouté à l’intérêt que je portais déjà à tout ce qui touche au manuel et à l’artisanat.
Il faut être conscient qu’avant l’industrie du papier, c’était presque de l’Art de réaliser une feuille ! Et merci pour ces jolis mots que tu me laisses là.
Très originale cette découverte :) un bien joli symbole pour une artiste que de faire son papier ;)
C’est tout à fait ça, ce papier que j’affectionne depuis petite justement :)
Super article ! J’en ai appris des choses ! A l’occasion c’est une visite qui me tenterait bien, fabriquer une feuille de papier, en voilà une chose originale !
Un atelier original en effet et puis la guide est top, ils ne le réservent qu’à des groupes par contre…
Joli et interessant reportage : une belle invitation à aller voir !
Merci.
Merci Alain, une jolie découverte oui !
J’ai adoré ton article ! Ohlala mon père et mes grands parents seraient trop fiers de lire qu’Annonay attire les blogueuses c’est si bien décrit en plus.
Je vais leur faire lire !
Oh je suis si contente Lucie, quel hasard que ton grand-père ait travaillé là ! J’espère que ça leur plaira.
Un post tellement intéressant !! Ton récit commence comme une bonne description de roman,tu écris joliment !! j’ai toujours adoré toucher le papier, j’ai souvent acheté du Canson pour dessiner, j’aime le fait de voir le travail que cela demande, c’est tout un art en effet ! les machines sont belles, et l’histoire des frères Montgolfier à travers le papier, c’est passionnant ! Bisous, je note ce musée pour une fois où j’irai dans ces coins là !!
Merci Amandine, je suis flattée par tes mots, tu as très bien perçu l’univers de ce lieu.
On s’attend presque à entendre le bruit de la plume d’oie grattant le papier en lisant ton article. Le bruit des maillet rythme les phrases, tu ne nous replonge dans le passé et sa douceur désuette des choses simples. Merci pour ce voyage dans le temps.
C’est beau ce que tu écris là, je vais t’embaucher ! :D Merci pour ce magnifique commentaire Pierre, c’était un sujet qui me tenait à cœur mais je savais que ça n’intéresserait qu’une petite partie de mes lecteurs…